La septième face du dé
"L'image, écrit Yves Bonnefoy, produit de l'imaginaire, elle se prête à nos rêves et la photographie, qui est aussi une image, est donc moins la reproduction du monde que le point où celui-ci comme tel est "réfracté" par le songe, le carrefour où nous pourrons décider de lui préférer notre "moi" avec ses mythologies, ses pénuries, ses fantasmes." Une photo peut ainsi ouvrir sur le mystère et par là même s'ouvrir et ne plus risquer d'être unaire. L'évolution de Doisneau est, à cet égard, intéressante: "Avant, mon appareil de photo était un piège à images, écrit-il. Mes photos[...]étaient complètement fermées, prêtes à regarder, avec un début et une fin. Maintenant, mes clichés sont ouverts, ils s'efforcent d'évoquer un décor plutôt que de le décrire. Je n'impose plus une photographie, je la suggère et laisse les gens faire un bout de chemin avec. L'image est en kit, c'est à eux de la monter." Doisneau décrit donc le passage d'une imagination reproductrice à une imagination créatrice: il reprend, presque terme à terme, les réflexions de Bachelard et de Blanchot. Il y a art quand il y a imaginaire et liberté pour le créateur et pour le récepteur. Alors la photo peut être mystère: Joseph Sudek avait une formule qui éclaire bien cette position sur l'art et la photographie: "Raconter des histoires avec des objets inanimés, suggérer un mystère: la septième face du dé"
François Soulages, Esthétique de la photographie, Armand Colin, 2005, page 179