Mon ami(e) Pierreau
Je parle des pierres que rien n'altéra jamais que la violence des sévices tectoniques et la lente usure qui commença avec le temps, avec elles. Je parle des gemmes avant la taille, des pépites avant la fonte, du gel profond des cristaux avant l'intervention du lapidaire.
Je parle des pierres: algèbre, vertige et ordre; des pierres, hymnes et quinconces; des pierres dards et corolles, orée du songe, ferment et image; de telle pierre pan de chevelure opaque et raide comme mèche de noyée, mais qui ne ruisselle sur aucune tempe, là où dans un canal bleu devient plus visible et plus vulnérable une sève; de telles pierres papier défroissé, incombustible et saupoudré d'étincelles incertaines; ou vase le plus étanche où danse et prend encore son niveau derrière les seules parois absolues un liquide devant l'eau et qu'il fallut, pour préserver, un cumul de miracles.
Je parle des pierres plus âgées que la vie et qui demeurent après elle sur les planètes refroidies, quand elle eut la fortune d' y clore. Je parle des pierres qui n'ont pas à attendre la mort et qui n'ont rien à faire que laisser glisser sur leur surface le sable, l'averse ou le ressac, la tempête, le temps.
Roger Caillois (1966), Pierres, Poésie/Gallimard
Je vous invite à voir en plus grand ces images en visionnant l'album "Pierreau".