Instants tannés
Le soir, il se laissait sagement enfermer dans un appentis jouxtant l’atelier et où l’on entreposait des outils et des peaux brutes traitées à l’alun. Il y dormait à même le sol en terre battue. Durant le jour, il travaillait tant qu’on y voyait clair, en hiver huit heures, en été quatorze, quinze, seize heures : il écharnait les peaux qui puaient atrocement, les faisait boire, les débourrait, les passait en chaux, les affûtait à l’acide, les meurtrissait, les enduisait de tan épais, fendait du bois, écorçait des bouleaux et des ifs, descendait dans les cuves remplies de vapeurs âcres, y disposait en couches successives les peaux et les écorces, selon les instructions des compagnons, y répandait des noix de galle écrasées et recouvrait cet épouvantable entassement avec des branches d’if et de la terre. Après une éternité, il fallait de nouveau tout exhumer et tirer de leur tombeau les cadavres de peaux momifiés par le tannage et transformés en cuir.
(Patrick Süskind, Le parfum, le livre de poche, 1986, page 37, Fayard)